Nettoyeurs diplômés contre le dumping salarial, efficace ?

Le canton de Genève a modifié ses critères d’attribution des mandats de nettoyage pour ses bâtiments, a-t-il informé mercredi lors de son point de presse hebdomadaire. Depuis le 1er janvier, les entreprises soumissionnaires doivent payer tous leurs agents d’entretien comme s’ils étaient diplômés et ont jusqu’à juin 2017 pour leur donner une formation effective.

Une nouvelle politique qui résulte de discussions tripartites entre l’Etat, les entreprises de nettoyage et les syndicats, menées cet automne pour lutter contre le dumping salarial. Son efficacité est déjà mise en doute du côté syndical.

Salaires revus à la baisse à la Gradelle

C’est une pétition déposée en janvier 2015 par des enseignants qui est à l’origine de ces nouvelles dispositions. Ils demandaient à l’Etat de prendre des mesures pour protéger les employés de la sous-enchère, choqués par le fait que trois nettoyeurs du Cycle de la Gradelle avaient vu leurs salaires baisser de 700 francs du jour au lendemain. Dans le cadre d’un changement de sous-traitant, ils avaient été licenciés puis réengagés à la baisse.

Pour eux, la nouvelle donne n’améliorera rien. «Mais pour tout nouveau mandat, les salaires seront indirectement augmentés via un niveau minimum de formation requis», indique le porte-parole du Département des finances, Henri Roth. Il défend cette «voie consensuelle» qui permettra à terme de valoriser la formation professionnelle dans l’adjudication.

Cette nouvelle pondération des critères dans l’attribution d’un mandat de nettoyage se fait notamment en revoyant à la baisse celui du prix de la prestation. Selon l’Etat, ces mesures inciteront les entreprises à fournir de meilleures conditions de travail à leurs employés ainsi qu’un salaire au-dessus du strict minimum légal.

Un salaire toujours minimum

Jésus Gomez, du syndicat SIT, n’y croit pas une seconde, même si c’est «un petit pas dans la bonne direction». En réalité, l’Etat demande simplement aux employeurs de considérer leur personnel comme des «nettoyeurs d’entretien» formés, rémunérés selon la CCT 19 fr.80 de l’heure. Soit un gain de…10 centimes pour la majorité des personnes concernées. Pour une minorité de travailleurs à temps partiel, le gain est de 1 franc par heure.

De plus, la mesure ne protège pas contre la sous-enchère salariale, avertit le syndicaliste. Cette nouvelle politique ne permet pas de lutter contre la pratique consistant à changer les travailleurs de catégorie salariale pour les payer moins, apparue ces deux dernières années sur les mandats de nettoyage. C’est ce qui serait arrivé aux nettoyeurs de la Gradelle.

Selon M.Gomez, ils sont en fait passés d’un statut de «nettoyeur de chantier» (utiles pour les surfaces vitrées, plafonds, etc.), rémunéré entre 21 et 29 francs de l’heure, au statut de «nettoyeur d’entretien» au tarif précité. «L’Etat a donc décidé de façon magnanime d’augmenter le salaire minimum de ses nettoyeurs de 10 centimes, toujours en dessous de 4000 francs par mois, alors qu’il aurait pu obliger les entreprises soumissionnaires à engager du personnel formé pour le nettoyage en bâtiment rémunéré correctement», conclut le secrétaire syndical.

Un «progrès» pour les patrons

Ce n’est pas l’avis des patrons. Président de l’Agens, association patronale du nettoyage, Pascal Raemy promet que ces nouvelles dispositions permettront de lutter contre le dumping. «Il s’agit d’un progrès que tout le monde souhaitait et qui incitera les entreprises à former leur personnel.»

Il admet également que ce «relooking» des critères d’attribution des mandats de nettoyage n’est pas une révolution, contrairement à ce qui avait été tenté par la Ville de Genève en 2011, provoquant l’ire des patrons. L’affaire s’était terminée au Tribunal fédéral, qui avait conclu que la municipalité n’avait pas le droit d’imposer un salaire horaire de 25 francs dans l’attribution de ses mandats. «Ici, l’Etat n’a pas marché sur notre partenariat social», se félicite M. Raemy.

Article, Le Courrier, jeudi 28 janvier 2016